Rendre grâces, pour le plaisir (de l'art)

Publié le 10 Août 2015

L'archange saint Michel ("Michel, Jacques", les prénoms complets d'état-civil de mon didi), reproduit par moi sur panneau de bois lors d'un atelier de peinture au Louvre "à la façon des maîtres anciens" (pour débutants)

L'archange saint Michel ("Michel, Jacques", les prénoms complets d'état-civil de mon didi), reproduit par moi sur panneau de bois lors d'un atelier de peinture au Louvre "à la façon des maîtres anciens" (pour débutants)

Rendre grâces

Remercier, pour ce changement incroyable qui vient de s’opérer dans ma vie (opera mundi), il me faut rendre grâces. L’irruption du corporel, la jouissance physique qui m’a été rendue, le plaisir du contact de la chair, toutes ces métamorphoses m’élèvent l’âme d’une façon que je n’aurais pu imaginer. Mon parcours initiatique d'amour charnel, un amour plein et entier qui rend beau et redonne confiance en soi. Enfin, une voie vers le bonheur ? Merci, quelqu’un. Les bons esprits qui m’entourent, un ange qui me protège ? Je ne me suis pas enfoncée dans la mer. J’ai expulsé ma colère, et je continuerai à le faire. En gardant toute la douceur possible pour préserver ce cadeau qui m’est fait, le retour de mon mari à mes côtés, qui m’aime et que j’aime.

Je reviens à la peinture de scènes bibliques de l’amie peintre, que je ne peux montrer ici, anonymat oblige. J’évoquais les tableaux religieux de Peinturlette (dont la sensualité ne doit pas tomber sous les yeux de mon mari, trop d’informations), en particulier ses dépositions. Descentes de croix où elle montrer le corps du Christ d’une manière émouvante et charnelle. Peinture réaliste et mystique à la fois, les os saillants sous la peau préfigurent la mort et la souffrance, et l’abandon du corps, l’universalité de la condition humaine.

Ecce homo, voilà l'homme, le mien, qui rapplique ("je ne suis pas loin, tout près") en Yvelines dès qu'elle lui textote des mots doux. N'est pas venu tant que ça, en fait. Pas très aventureux. Ne suis pas sûre qu'il ait bien regardé les photos de ses tableaux de corps du Christ, sur les sites web des galeries où elle les a exposés. L'incarnation du Dieu vivant auquel elle a l'air de croire très fort a peut être laissé mon mari mécréant indifférent, inattentif. Sinon il se serait précipité vers l'atelier pour la laisser passer ses pinceaux sur lui, comme elle le suggérait dans tous ses derniers messages. Las, trop de "pudeur et sensibilité", ça le perdra (coincé, oui). Mon bouddha ventripotant - qui n'a rien d'un fils de Dieu émacié mais son daddy belly a son charme, n'a rien compris à sa peinture aussi spirituelle que charnelle, si prometteuse. Fallait aller chercher sa bénédiction, gros benêt ! (Non, merci mon Dieu il n'en a rien fait).

Elle a dit : "Les sujets délaissés de l’histoire de l’art me paraissent également à protéger en ce que beaucoup contiennent une histoire féconde et fécondante. Plus encore ceux qui évoquent l’histoire du Christ. En effet, la technique extraordinaire de la peinture à l’huile, son «rendu» charnel, vivant, n’a-t-elle pas été inventée pour célébrer et rendre compte de ce Dieu incarné ? De cette chair du monde ?"

Profane, je retrouve dans cette déclaration une préfiguration de leur antienne à venir : "je ne suis pas belle, mais je suis vivante" (et charnelle), avec l'accent parigot d'Arletty.

On dirait qu'elle ne peint que sa foi. C'est déjà beaucoup, mais c'est terriblement perso. Comme si on la regardait faire sa prière. Lui préfère un Poussin ou les allégories flamandes, au moins on s'instruit. Là, si on ne vibre pas à l'unisson, c'est juste un peu gênant à regarder. Je reconnais pourtant la qualité de ses œuvres en général, mais sa série christique n'est vraiment pas terrible (une Eucharistie un peu démonstrative) : on frôle le kitsch, et c'est même pas comique comme les photos de Pierre et Gilles, ou provoc un peu toc à la manière de Bettina Rheims. Je préfère leur imagerie glamour et sulpicienne à ses sages images pieuses. L'amie peintre est bien plus inspirée avec les animaux. Peindre la chair oui, mais couverte de plumes et de poils, ça passe mieux quand on n'est pas Lucian Freud.

Ce genre pictural, la peinture religieuse, ne me touche guère, en fait. Ne suis pas une chrétienne convaincue, juste des restes de piété filiale. M’intéresser à la foi chrétienne, en inscrivant mes enfants au caté et en allant jusqu’à en donner des cours aux enfants de l’âge des miens, il y a dix ans. Une façon de rendre service, de m’insérer dans une société donnée, à l’époque où je ne travaillais pas. Une manière aussi de me situer dans ma filiation d’enfant de famille catholique, mes frères servants de messe et moi allant à l’église aux côtés de mon papa, mais quand le curé disait « Notre père » je ne me sentais de père que lui, qui allait me quitter bientôt, après s’être trempé dans l’eau d’une piscine d’eau de Lourdes, attendant un miracle qui n’est jamais venu.

Ne me suis jamais sentie à ma place ou légitime dans les paroisses, moi l’incroyante, mais fascinée par l’histoire sainte que je lisais pour préparer « mes cours ». La thématique religieuse dans l’histoire de la peinture a toujours été là, je le prends comme un terreau de culture, de civilisation, nous donne à voir le mystère, l’impalpable, si on est sensible à une dimension spirituelle de l’univers, religieuse ou pas.

Antoni Tapiès

Les Christ de l’amie de mon mari, traités réalistement, ont un corps d’une densité accomplie, pour reprendre les phrases de Jean-Luc Nancy sur l’œuvre d’Antoni Tapiès, citations extraites de « L’âme au corps », T-E-R, 2015. « Ces flaques, plaques, ces marques et ces laques de substance épaisse et vitreuse, corps opalescent de peinture, âme d’albâtre et d’aube citronnée où s’éduque exemplairement le regard – à cesser de regarder, à s’avancer et à fouiller, à toucher, à s’étirer du mouvement de la chose même ou de l’âme dans sa densité accomplie de corps »… « Les formes se formant au bout des doigts qui pétrissent qui malaxent qui enduisent qui griffent grattent fouissent se laissant faire par des puissances des poussées qui leur montent des os et des nerfs du ventre du foie des artères le long desquelles bout le flux des esprits animaux ».

Les mots de Nancy pour approcher le mystère de la peinture, à travers les emmpâtements de matière spirituelle de Tapiès, catalan inspiré.

"Matière, dites-vous ? C'est à dire substance, cela qui tient dessous, qui soutient, qui se tient, cela qui est premier, suppôt, sujet, subjectile, hypokeimenon, placé dessous, étendu, extensif inerte, texture intime enfouie, mortier, élément, consistance gonflée, cloquée, soulevée et creusée, invaginée d'encoches et d'embouchures d'où dégorge un surplus de substance, abonde une foison de sens, oui dégorge son propre surplus : se révèle plus dense et plus massive que l'étendu, plus profonde que le dessous, elle même sous soi en nappes et en sédimenets, dépôts de présence, alluvions, macérations et des fossiles des origines. Matière, oui, mère et âme des sens, sujet assujetti à recevoir et à fournir toutes naissances et puissances, les formes, les figures, inventions, signes toujours à l'état naissant, signes qui ne sont pas du corps mais corps eux mêmes, corps signifiant à nous toucher - presser, fléchir, lâcher, frôler.

Corps : épaisseur de signes, substance de signes nombreux, tendus vers nous, levés dans la pâte animée, tracés de matière en matière, faisant monter les fonds, enfonçant les surfaces, comme une toile blanche clouée aux coins, inégalement tendue et porteuse d'un pied terreux qui la souille de sa trace et de son ombre, pied qui ne marche pas, pied coupé qui seulement empiète, blason de corps, emblême et piedesta qui porte une autre face que celle d'un visage, une face appuyée sur le linge de la peinture qui montre, qui présente, ostensoir carré blanc souvenir de caput mortuum et Véronique au lavement des pieds.

Les pieds, les jambes, le corps du fils de l'homme, la face salie, perdue, égarée, couverte d'encre, de croix et de crachats."

Olivier Charpentier (père Joseph ?)

Aux Jésus aux corps beiges et à la sensualité suppliciée de l'amie peintre, je préfère par exemple, la série du peintre graveur Olivier Charpentier (1967) que je viens de découvrir, titrée "Et moi aussi je mourrai" (parue et exposée chez Prodomus). Ses dépositions de Christ me plaisent dix fois plus, c’est brossé à grands traits et bien plus expressif pour moi. Ce n’est pas la peine d’avoir étudié toute sa vie la peinture pour faire ressentir des choses au regardeur, l’AC n’est pas toujours une imposture, l’important c’est l’émotion, le ressenti (de la tempéra-ture ?)

Le bestiaire cortège d'Orphée d'Olivier Charpentier fait chavirer mon côté animal-on n'est mal, son arche de Noé me plaît bien davantage, plus simple, moins élaborée que les figures simiesques, et autres éléphants accrochés sur les murs de Coysevox...

http://illustrations.oliviercharpentier.com/index.php/le-bestiaire-ou-cortege-dorphee/

Diego Velazquez

Pour changer, un peu de littérature autour du corps du Christ, l’objet de mon sentiment, vu par-dessous le linge divin qui lui ceint les flancs, voici du « pôétique ». Je place ici un extrait de :

« Devant le Christ de Velazquez (3e partie du poème) : une lecture de Diego Velazquez, "Le Christ crucifié", vers 1632, Musée du Prado, Madrid / Miguel de Unamuno ; traduit de l'espagnol par Jacques Ancet (Invénit, 2015)

XXIV – PUBIS (1920)

Au –dessous de ce voile de mystère

qui, lumineux, enveloppe tes reins

Et c’est le linge qui sécha les pieds

lavés de tes apôtres, par qui l’homme entier demeure pur - ; au-dessous de ce voile – enserrés les reins comme dans la marche – la force du mâle, Seigneur, se cache.

(…) Tu as engendré en mourant, Christ, ta mort

fut ce qui te fit père de la vie

de la grâce, ta mort, un avant-goût

de ta virilité]

Erik Ifergan

Espoir d’une vie meilleure, avec tout cet amour nouveau et ancien à la fois, retrouvé par la grâce de Quelque chose qu’il me faut remercier ici.

Espérer, « to hope » en anglais. , penser à rajouter sur How much time mon autre blog (rien à voir) une autre découverte artistique : « Hope », du nom d’une série du photographe américain et cinéaste Erick Ifergan. Un barbu sexy et talentueux, qui photographie les moeurs et coutumes de Los Angeles. Homeless, bikers, bombasses et putes, dans des décors urbains aux couleurs saturées. Tout un plein de sensations.

Entrer son nom dans ma sélection d'artistes choisis (y figure déjà la peintre préférée de mon mari, comme je suis magnanime).

Le nom de l'exposition d'Erick Ifergan me remplit d'aise : HOPE, il y a de l'espoir.

Notes de l'éditeur : Cette série de portraits de nuit mis en scène dans Los Angeles a été réalisée pendant une période d’une année. Erick Ifergan a rencontré les gens qui hantent cette ville la nuit en les faisant entrer dans mes images. Aucun de ces portraits n’est volé, ils sont tous éclairés et mis en scène comme dans une scène de film. Les personnages sont réels, les lieux aussi. Mais la réalité elle, est altérée. Les images sont le plus souvent le fruit d’une rencontre et d’une réflexion rapide. Après avoir parlé à ses personnages, l'auteur décide de la lumière et du lieu. Chaque image raconte une histoire et chaque histoire fait partie d’une plus grande histoire. Erick Ifergan utilise un Hasselblad X-Pan avec des films argentiques. Les tirages sont au format de 1m x 0,50 m. Comme au cinéma.

Rendre grâces, pour le plaisir (de l'art)

Rédigé par Gloubigoulba

Publié dans #l'amie peintre

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